10. Recommandations
Le présent chapitre propose des recommandations pour renforcer la main-d’œuvre culturelle et pour combler les lacunes dans les données.
10.1 Recommandations pour renforcer la main-d’œuvre culturelle
1. Continuer à créer des possibilités de mentorat pour les leaders en émergence et les gestionnaires à mi-carrière et à le soutenir afin de faciliter la planification de la relève et de renforcer l’infrastructure culturelle en général.
Les personnes qui ont participé aux groupes de discussion nous ont dit que les leaders en émergence et les gestionnaires à mi-carrière manquaient souvent de compétences, de connaissances et de confiance pour assumer les responsabilités de postes plus élevés. Par contre, les personnes qui occupent des postes supérieurs trouvent que les contraintes de temps et de lourdes charges de travail les empêchent de préparer les futurs leaders potentiels en leur transmettant leurs compétences et leurs connaissances. Le mentorat est le meilleur moyen de transmettre des connaissances et la mémoire organisationnelle. Le mentorat et la planification de la relève ne fonctionnent que si les personnes qui occupent les postes supérieurs peuvent consacrer du temps aux leaders en émergence et aux gestionnaires à mi-carrière afin de les équiper des compétences et de la confiance nécessaires pour occuper des postes de haut niveau. Le mentorat donne également aux cadres supérieurs l’occasion de mettre en place la planification de la relève de façon à assurer la force et le succès à long terme de leur organisme.
2. Continuer de soutenir les stages et le mentorat pour les travailleuses et travailleurs du niveau d’entrée dans des postes administratifs afin de renforcer l’infrastructure culturelle.
Les personnes qui ont participé aux groupes de discussion ont fréquemment abordé la question des travailleuses et travailleurs du niveau d’entrée—particulièrement ceux et celles qui occupent des postes administratifs et, éventuellement des postes de gestion—qui doivent s’intégrer rapidement dans des milieux de travail complexes qui exigent d’exécuter de nombreuses tâches et d’assumer plusieurs rôles. Avant de combler les postes de niveau d’entrée les organismes devraient offrir des stages donnant accès à des mentors pour aider les travailleuses et travailleurs du niveau d’entrée à établir une carrière dans le secteur culturel, ce qui, par conséquent aidera à renforcer l’infrastructure culturelle.
3. Former le personnel et les membres des conseils d’administration sur les meilleures pratiques de ressources humaines en matière de diversité, d’inclusion et de prévention du harcèlement.
Étant donné la diversité de plus en plus grande de la main-d’œuvre canadienne, le personnel et les membres des conseils d’administration doivent être à l’avant-garde sur la façon de favoriser des milieux de travail égaux et justes et de préparer des mécanismes adéquats pour protéger toutes les personnes concernées. Être adéquatement préparé à traiter les problèmes après le fait ne suffit plus. Prévoir d’éventuels problèmes et assurer de manière proactive des milieux de travail sécuritaires et inclusifs pour tous et toutes est devenu un impératif. Il faut de la formation et des ressources pour aider à amener le personnel et les membres du conseil d’administration au niveau de sensibilisation et de préparation nécessaire.
4. Offrir une formation accessible partout au pays dans les compétences en technologie et les compétences en affaires afin de renforcer l’infrastructure culturelle à tous les niveaux.
Selon les résultats des enquêtes d’information sur le marché du travail du Conference Board, les compétences en technologie et en affaires sont parmi celles qui sont les plus nécessaires dans le secteur culturel. Les compétences en technologie sont liées à l’utilisation des technologies en émergence comme les nouveaux logiciels et les nouveaux médias. Les lacunes dans ces compétences sont particulièrement graves dans les domaines qui passent par des processus numériques radicaux. Les compétences en affaires sont liées à la gestion d’une entreprise comme le marketing, les ventes et la comptabilité—des compétences qui sont souvent nécessaires pour les travailleuses et travailleurs autonomes du monde de la culture.
Une offre accessible de formation dans ces deux ensembles de compétences est la clé du succès à long terme de plusieurs personnes et entreprises du secteur culturel. Bien que l’étendue et la profondeur de ces connaissances varient d’un domaine et d’une profession à l’autre, il faudrait mettre en place des cours en ligne gratuits et de la documentation sur les compétences pertinentes pour la communauté artistique et culturelle.
5. Soutenir des projets pour les artistes créateurs afin qu’elles et ils puissent enseigner leurs compétences dans des milieux d’apprentissage pour les jeunes.
L’abondance de talent artistique et de créativité au sein de la main-d’œuvre culturelle pourrait profiter aux jeunes, surtout là où les coupures de fonds publics ont touché les offres de programmes en art et en culture. Plusieurs travailleuses et travailleurs culturels sont très instruits et pourraient partager leur art dans le milieu de l’éducation. La recherche montre que les jeunes qui font des activités culturelles réussissent mieux en général à l’école.[1]
Offrir aux travailleuses et travailleurs qui font de la création la possibilité de contribuer à l’éducation au pays, spécialement au primaire et au secondaire, permettrait aux élèves de vivre une expérience réelle d’apprentissage tout en offrant aux travailleuses et travailleurs culturels divers environnements et plateformes pour pratiquer leur art, préférablement en étant rémunérés. Les agences de financement des arts pourraient incorporer cela à titre de prérequis pour toutes les activités financées par l’État. Un tel programme pourrait également contribuer à la pérennité d’une économie plus vaste. Les jeunes doivent être exposés aux arts et à la culture pour devenir un jour des consommatrices et consommateurs avertis qui, en retour, valoriseront le travail culturel pour les générations futures.
6. Aider les travailleuses et travailleurs autonomes de la culture à pouvoir s’inscrire à l’assurance-emploi et à être admissibles aux prestations.
Bien que l’on pense généralement le contraire, les travailleuses et travailleurs autonomes de la culture, peuvent avoir droit à des prestations spéciales en s’inscrivant à la Commission de l’assurance-emploi du Canada. Les partenaires nationaux, provinciaux et régionaux (organismes de services dans le domaine des arts, associations professionnelles, syndicats, guildes et agences de soutien et de financement) devraient mettre en place un plan de communication pour dissiper ce mythe, Il serait possible de préparer de l’information, des trousses, des ateliers ou des séminaires et de la distribuer afin donner aux travailleuses et travailleurs autonomes les connaissances et les outils nécessaires pour avoir accès au processus.
7. Revoir les lois sur le droit d’auteur pour trouver des moyens qui permettront aux artistes visuels et autres artistes de récolter les profits de leur production créative.
Contrairement aux musiciennes et musiciens qui peuvent toucher des redevances plusieurs années après avoir composé ou enregistré une chanson, les artistes visuels et les artisanes et artisans n’ont aucun droit d’auteur. En d’autres mots, une peinture vendue aujourd’hui 500 $ et revendue deux ans plus tard à 800 $ ne donne aucune redevance à l’artiste peintre sur la valeur accrue de son œuvre. Une révision des lois sur le droit d’auteur pourrait aider à établir des moyens permettant aux artistes visuels et autres artistes d’obtenir régulièrement des bénéfices sur leur production créative.
8. Effectuer une enquête et une étude sur les compétences nécessaires que devraient apporter les bénévoles aux organismes culturels.
La généreuse contribution des bénévoles est la clé du succès de plusieurs organismes sans but lucratif. En fait, les bénévoles de la culture travaillent en moyenne plus d’heures que les bénévoles d’autres domaines.[2] De plus, elles et ils respectent davantage leur engagement de bénévolat et restent longtemps dans le même organisme.[3]
Il vaut la peine de souligner toutefois, que les activités auxquelles participent généralement les bénévoles—comme être membre d’un comité ou d’un conseil d’administration, organiser des activités ou des événements ou effectuer du travail administratif—exigent souvent des compétences en affaires, en communication et en organisation que les bénévoles n’ont pas nécessairement. Il serait avantageux de préciser quelles sont les compétences les plus nécessaires et d’offrir une formation qui permettrait aux bénévoles d’acquérir ces compétences ou de les perfectionner. En retour, cette formation serait un incitatif supplémentaire pour les personnes qui désirent acquérir de telles compétences et consacrer davantage de temps au bénévolat.
9. Valoriser les heures que les bénévoles consacrent au secteur
Cette étude d’information sur le marché du travail a permis de confirmer le besoin endémique d’avoir recours au travail bénévole et aux heures non rémunérées pour maintenir les organismes culturels à flot. À la suite de l’enquête sur les compétences nécessaires (recommandation no 8 de la présente liste) une question souvent soulevée par la main-d’œuvre non rémunérée, on pourrait créer un projet-pilote pour valoriser le travail qui est fait gratuitement en reconnaissant ces contributions de travailleuses et travailleurs qualifiés. Les employeurs pourraient émettre un type de bordereau pour reconnaître les heures de bénévolat, les heures travaillées, mais non rémunérées pourraient compléter les heures rémunérées assurables et ainsi, aider à créer un filet de sécurité et permettre aux travailleuses et travailleurs de se qualifier pour l’assurance-emploi quand ils manquent de travail.
Un tel programme exclurait les engagements et les tâches des membres des conseils d’administration. Il inclurait les contributions de travail qualifié à la valeur du marché comme des contributions en gestion (supervision ou prise de décision à un niveau supérieur), du travail spécialisé (conservatrice ou conservateur de musées, artiste de studio d’enregistrement, spécialiste de l’éclairage, spécialiste en comptabilité ou en droit) de l’administration et des services généraux (tenue de livres, marketing, administratrice ou administrateur de liste de nouvelles). Le programme inclurait également du travail de soutien moins spécialisé comme des placeuses ou placeurs de théâtre, des machinistes et des préposés au casse-croûte.
10. Créer un registre national des artistes.
La création d’un registre national indépendant servant de mécanisme de soutien pour toutes les recommandations et les résultats attendus pourrait améliorer la collecte d’information provenant des travailleuses et travailleurs, des entreprises et des organismes culturels et des agences gouvernementales ainsi que faire connaître cette information aux divers partenaires du secteur culturel.
10.2 Recommandations pour combler les lacunes dans les données
11. En utilisant le secteur culturel comme étude de cas, Statistique Canada devrait entreprendre un projet pilote de plusieurs années pour évaluer de nouvelles façons de recueillir des données sur la main-d’œuvre culturelle afin de combler les lacunes actuelles dans les données et d’améliorer les rapports sur l’économie de « gig ».
Les difficultés liées aux données qui ont émergé lors de la préparation de la présente étude démontrent que les programmes statistiques actuels de Statistique Canada ne sont pas suffisants pour obtenir un portrait complet de la main-d’œuvre culturelle en raison de ses nombreuses caractéristiques distinctes. La vie de travail des travailleuses et travailleurs culturels se caractérise souvent par des emplois multiples et du travail à la pièce (de type gig). Le recensement—la meilleure source de données disponible sur la démographie, la fréquentation scolaire, le statut d’emploi et le revenu—ne tient compte que de la principale profession d’une personne (définie comme la profession dans laquelle une personne a travaillé le plus grand nombre d’heures pendant la semaine de référence), laissant de côté l’emploi dans d’autres professions. De plus, bien que l’exactitude des données sur les revenus d’emploi se soit améliorée dans les derniers recensements grâce à l’utilisation des dossiers sur l’impôt personnel et les avantages sociaux, la composition du revenu demeure imprécise.
Au lieu de modifier le questionnaire du recensement pour tenir compte des multiples professions et sources de revenu d’une personne, ce qui pourrait aussi s’appliquer aux personnes travaillant dans d’autres secteurs, la meilleure solution serait de se servir du secteur culturel comme étude de cas et d’entreprendre un projet pilote pour évaluer les meilleures pratiques dans la collecte de données. Cela pourrait se faire par des consultations au sein de l’industrie et des enquêtes adaptées aux caractéristiques uniques des travailleuses et travailleurs culturels. Les questionnaires pourraient, par exemple, permettre aux participantes et participants de déclarer toutes les professions occupées et le temps passé à travailler dans chaque profession ainsi que le revenu provenant de chaque emploi. L’étude de cas proposée pourrait non seulement combler les lacunes dans les enquêtes actuelles, mais aussi améliorer à l’avenir la collecte de données dans une économie de gig.
12. Statistique Canada devrait créer un module de ressources humaines pour le secteur culturel dans le Compte satellite de la culture.
Bien que le Compte satellite de la culture fournisse un important portrait de l’emploi dans le secteur culturel et de sa contribution à l’ensemble de l’économie, il y a place à l’amélioration du cadre comptable, particulièrement les statistiques sur l’emploi. Plus précisément, en vertu du cadre actuel, un emploi à temps partiel et un travail à plein temps sont traités de la même façon, quelles que soient les différences dans le nombre d’heures travaillées au cours de la semaine. De plus, un emploi saisonnier qui n’existe que quelques mois est converti en une fraction d’un emploi annuel (si un emploi existe pour trois mois au cours de l’année, il est compté comme un quart d’emploi). Par conséquent, la statistique d’emploi n’est pas la mesure idéale des facteurs travail de la production dans la mesure où il s’agit d’une combinaison d’emplois dont la capacité varie.
De plus, puisque le cadre comptable du Compte satellite de la culture assemble les diverses professions en domaines selon la nature de l’activité créative et les résultats au lieu du domaine dans lequel la personne travaille, dans certains domaines, les statistiques de l’emploi sont faussées. Les actrices et acteurs, par exemple, peuvent travailler en cinéma, en vidéo, en radiotélédiffusion et en arts de la scène, mais l’agrégation les place dans le domaine des arts de la scène parce que leur production créative est principalement reliée au jeu. L’engagement des actrices et acteurs dans d’autres domaines est par conséquent exclus et la taille et les contributions économiques de ces domaines respectifs sont faussées.
Ces lacunes pourraient toutefois être comblées en créant un module de ressources humaines pour le Compte satellite de la culture. En se servant de sources de données supplémentaires dont le Système de comptabilité nationale, le Recensement, l’Enquête sur la population active et l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail, le module de ressources humaines pourrait faire d’une pierre deux coups. Le premier serait d’améliorer les mesures de l’emploi comme le total des heures travaillées pour chaque profession, les revenus d’emploi ainsi que les emplois équivalents temps plein (les emplois à temps partiel seraient convertis en emplois à plein temps sur la base du nombre réel d’heures travaillées; par exemple, deux emplois à temps partiel de 20 heures par semaine seraient convertis en un emploi à plein temps de 40 heures par semaine). Le second serait d’associer précisément les travailleuses et travailleurs culturels et leur production aux domaines appropriés en se basant sur les domaines dans lesquels ils travaillent présentement plutôt que sur la nature de leur travail et sur leur production.
13. Statistique Canada devrait engager les partenaires du secteur culturel (particulièrement les divers domaines) à mettre à jour et à améliorer la nomenclature actuellement utilisée pour décrire le secteur.
Le cadre actuel des statistiques culturelles a été publié par Statistique Canada en 2011. Plusieurs domaines ont depuis subi des changements majeurs. Par exemple, plusieurs nouvelles professions ont été créées à mesure que la technologie avançait et que la demande des consommateurs se déplaçait. Les professions du cadre conceptuel doivent donc être mises à jour pour tenir compte de ces changements. Certains domaines devraient être repensés en profondeur, entre autres, les métiers d’art et les médias interactifs. Le domaine des métiers d’art est constitué d’une multitude d’activités créatives et artistiques hétérogènes; la modification de la liste des professions (et de préférence de la Classification nationale des professions) pourrait être faite de façon à mieux correspondre à l’échelle et à la portée des pratiques de métiers d’art. Le secteur des médias interactifs a subi des changements très rapides au cours des récentes années et plusieurs des professions nouvellement créées ne font partie de la liste actuelle des professions.
Améliorer la nomenclature utilisée pour décrire le secteur culturel est également essentiel pour la création du module de ressources humaines proposé, dans la mesure où les données des partenaires du secteur culturel sont nécessaires pour déterminer l’engagement inter-domaines de certaines professions. Par exemple, les partenaires de l’industrie pourraient aider à documenter Statistique Canada au sujet de l’engagement d’une musicienne ou d’un musicien dans des domaines autres que les spectacles en direct.
[1] Coalition canadienne des arts, “Children and the Arts.”
[2] Hill Strategies, Les bénévoles et donateurs du secteur des arts et de la culture au Canada en 2013.
[3] Ibid.